Kumi Oguro est une jeune photographe d’origine japonaise ; études au City of Westminster College (Londres), puis à l’Académie des Beaux-Arts et à Saint-Luc (Bruxelles). Pour l’heure, elle vit et travaille à Anvers, a repris des cours à l’université (en études cinématographiques), et entreprend un travail de fin de cycle sur les rapports (théoriques, historiques, plastiques) entre sa propre photographie et le langage du cinéma.
Et à l’évidence… ceux-ci sont nombreux. Le jeu expressionniste sur la lumière ou le jeu théâtral des acteurs. Mise en scène des lieux, mise en situation des corps. La suspension du temps et de l’espace dans un ordre du récit non révélé. La présence déterminante d’un hors-champ, d’un avant ou d’un aprèscoup… (Quel coup ?) Disposition savante et méfiante des éléments perturbateurs, des indices, des zones d’ombre. Effets de tension et clins d’oeil à la logique des genres : l’étrange, l’ailleurs, horreur ou thriller… La psychologie des protagonistes se donne pour impénétrable et, en même temps, leur solitude semble évidente, tout comme leur détermination éperdue ou désabusée à être là, au beau milieu d’histoires suspendues. Impermanence de leur beauté ou de leur tourment – et fragilité de leur apparition.
Mais la chair dénudée est trop présente (et trop tentante) pour qu’il s’agisse là d’un catalogue raisonné de figures de style. Toutes ces figures, ces concepts, ces questions, cela fait longtemps que, de façon instinctive, intuitive, la photographie de Kumi Oguro les brasse, les enlace et s’en imprègne. Sans rien "devoir" au cinéma, c’est-à-dire sans référence, sans citation explicite ou complaisante, mais d’une façon à la fois très consciente d’elle-même et très personnelle, spontanée. Comme si l’on pouvait tenter, d’un seul tenant, d’approcher la perfection – jamais atteinte – et de prendre en compte la fêlure – impossible à nier. Il en va également, à coup sûr, de l’expression voilée d’une intimité et de la revendication d’une féminité. Car ces images écrivent enfin et surtout, entre le trouble et l’inquiétude du désir, l’alphabet d’une étonnante, très moderne et poignante sensualité.
Bazin (ou peut-être Mourlet, semble-t-il) : "Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs". Mais aussi qui les façonne, les malmène et, parfois, les engloutit...
Emmanuel d’Autreppe © View Photography Magazine (N°6Autumn 2007)